La prise en compte du social en CDA : réflexions sur la posture du chercheur, retour sur l'exemple de Ruth Wodak.
 
La prise en compte du social est un élément fondateur de l'analyse du discours, en France mais également à l'étranger. Dans le contexte anglo-saxon, cet engagement pour le social s'est renouvelé au début des années 1990 avec l'émergence de l'analyse de discours critique (Critical Discourse Analysis, abrégé ici en CDA) qui s'est construite sur le principe même d'un positionnement militant au sein de la société, tant dans les pratiques et les buts de l'analyse que dans le questionnement du rôle social du chercheur.
Le terme " critique " vient du refus de prendre pour argent comptant tous les aspects de l'inégalité sociale et témoigne d'une réflexion sur le positionnement du chercheur en temps qu'acteur d'une société ayant l'envie de la faire évoluer (Wodak 2004). Cela se traduit dans la pratique par un intérêt non pas pour certains types d'objets d'analyse, tels que des phénomènes linguistiques précis ou des types de discours privilégiés, mais au contraire par une approche pragmatique basée sur la volonté de partir du problème social et de voir sa répercussion sur le discours. En ce sens, la CDA se définit comme étant " problem-oriented ", et va prendre pour point de départ à une étude un phénomène d'inégalité sociale tel que le racisme, les discriminations, l'identité, le changement social et va chercher à voir la manière dont le discours (conçu de manière générale comme les utilisations de la sémiosis dans la société) permet à ce phénomène de s'ancrer et de se propager dans la société. Cette conception du discours implique une réflexion sur son intrication avec l'idéologie et les rapports de pouvoir - la CDA se donne pour but de "démystifier les discours en déchiffrant les idéologies" (Wodak 2004: 199) - et la prise en compte du contexte social lors de l'analyse.
Ces conceptions forment le soubassement théorique de la CDA, cependant les acteurs majeurs de la CDA tels que Norman Fairclough, Ruth Wodak et Teun Van Dijk, pour n'en citer que quelques uns, insistent sur le fait que la CDA n'est pas une école qui serait unifiée autour de quelque théorisation figée et des méthodologies communes, mais bien un programme militant pour une conception de la pratique même de l'analyse de discours, impliquant notamment de rendre les résultats d'analyse accessibles au plus grand nombre dans le but d'une prise de conscience permettant de changer certaines pratiques discursives. En ce sens, tout chercheur partageant cette conception commune s'intéressant au domaine de la sémiosis peut se revendiquer de la CDA.
Dans cette communication, nous nous proposons de faire le point sur la CDA de manière générale et de présenter ce programme fédérant les acteurs de la CDA, articulant pratique d'analyse et réflexion et prise en compte de la posture du chercheur et de son rôle dans la société.
Nous prendrons comme exemple la manière dont Ruth Wodak, Professeur à l'Université de Lancaster, R.-U., et l'une des fondatrices de la CDA, le met en pratique dans ses recherches en analyse de discours. Nous expliciterons ses positions sur la scène sociale en tant que chercheuse, et montrerons comment sa conception de l'idéologie, du pouvoir et de la société la conduisent à une modélisation du contexte pour sa pratique d'analyste. A travers des exemples précis, nous nous intéresserons particulièrement à sa façon de mettre son analyse au service de la demande sociale, notamment dans des études sur la relation patient/médecin, ou dans le projet d'étude sur l'image des Juifs en Autriche, commandité par le gouvernement autrichien suite à l'affaire Waldheim.
Bibliographie
Fairclough, N. et Wodak, R., 1997, " Critical Discourse Analysis " in Van Dijk, T. A., Introduction to Discourse Analysis, Londres : Sage, p. 258-84
Wodak, R., 2004, " Critical Discourse Analysis " in Seale, C et al, Qualitative Research Practise, Londres : Sage, p. 197-213
Wodak, R., Personal webpage,
http://www.ling.lancs.ac.uk/profiles/265