L'émergence d'un discours politique des jeunes lycéens au sein de la convention d'éducation prioritaire avec Sciences Po' ?

La présente communication se fonde sur une étude longitudinale par observation participante menée depuis plus de deux ans dans un atelier de préparation à l'admission à " Sciences Po' " par la CEP (Convention d'Education Prioritaire). L'atelier observé se tient au lycée Delacroix de Drancy situé en zone ZEP, en Seine Saint Denis. Les données recueillies sont hétérogènes et multi-supports (notes de type ethnographique, enregistrements audio ou audio-vidéo de séances de travail, questionnaires, entretiens, échanges de courriers électroniques et textes internes). A ces données s'ajoutent des textes issus de la presse qui a largement débattu de ce que l'on a parfois appelé la " discrimination positive " ou encore du site officiel de l'Institut d'Etudes Politiques (Sciences Po') qui communique au sujet de son " ouverture à la diversité " des publics.
Le public cible est constitué des élèves de terminale qui suivent de manière bénévole la préparation à ce concours, selon un rythme de deux heures par semaine, et de leurs 5 professeurs. Nos études se concentrent surtout sur les 19 élèves déclarés admissibles durant les trois sessions suivies (étés 2006-2007-2008), soit environ 10% des élèves qui s'inscrivent initialement à l'atelier. Il s'agit d'élèves de bon niveau scolaire correspondant généralement à au moins un des critères de diversification des publics visés par la convention CEP, à savoir l'origine étrangère des parents et/ou un milieu socio-professionnel modeste.
Des interactions orales entre professeurs et élèves sous forme de " concours blanc " fournissent le corpus principal de la présente communication. Lors de ces concours blancs filmés et utilisés ensuite dans l'atelier, les professeurs du lycée jouent le rôle du jury de Sciences Po' et les élèves sont incités à acquérir une certaine liberté de parole pour construire un positionnement personnel original durant des débats sur des sujets politiques d'actualité. L'atelier devient ainsi un véritable laboratoire d'élaboration de discours politiques, sans équivalent dans les traditions de l'enseignement au lycée, et constitue une fenêtre d'observation unique pour les chercheurs. Notre communication entend faire ressortir les dispositifs interactionnels et discursifs qui permettent de faire émerger ces " jeunes discours " politiques et les réactions qu'ils suscitent chez les enseignants. Nous montrerons, à travers quelques exemples, comment les enseignants, placés dans ce contexte péri-scolaire où ils interviennent en dehors de leur discipline et donc en dehors de leur autorité légitime, oscillent entre un positionnement de " juge " virtuel du jury de Sciences Po' et un positionnement politique strictement individuel et comment les élèves arrivent ou non à construire leur point de vue différencié, notamment lorsqu'ils adoptent un positionnement politique plutôt de droite face à des enseignants qui s'affichent plutôt proches de l'extrême gauche.
A travers des analyses de discours en interaction, cette contribution vise à alimenter les débats français actuels sur le rôle de l'école, sur la place des débats politiques au sein de l'école ainsi que sur le fonctionnement des dispositifs directs de promotion de l'égalité.

Bautier E., 1995 : Pratiques langagières, pratiques sociales, L'Harmattan.
Bautier E., Rochex, J.Y.,  1998 : L'expérience scolaire des nouveaux lycéens, A. Colin
Beaud S., 2003 : 80% au bac … et après ? : les enfants de la démocratisation scolaire, La Découverte
Melliani F., 1999, Immigrés ici, immigrés là-bas. Comportements langagiers et processus identitaires: les cas de jeunes issus de l'immigration maghrébine en banlieue rouennaise [these Univ. Rouen]