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La formation
professionnelle initiale en crise ? L'analyse du discours face à une " demande
sociale "
En Suisse, chaque année,
quelques 60% des jeunes s'orientent vers des filières d'apprentissages. 80%
d'entre eux sont formés dans un dispositif dit " dual " intégrant
expérience de travail en entreprise et suivis de cours dans un établissement de
formation. Un nombre important de jeunes s'inscrivent donc dans ces filières de
formation. Derrière cet engouement apparent se cache une réalité sociale parfois
autre : des taux d'échecs importants aux examens intermédiaires et de fin
d'apprentissage, des transitions parfois difficiles entre l'école et le monde du
travail, des ruptures d'apprentissages fréquentes, une dévalorisation récurrente
dans le discours publique et des individus concernés à propos des filières
techniques et manuelles. Certains secteurs subissent par ailleurs souvent des
désaffiliations importantes provoquant des décalages fréquents entre l'offre et
la demande. Si ces difficultés sont bien documentées en termes
statistiques, force est de constater que les processus qui mènent à ces échecs
et ruptures, les conditions qui les favorisent ou au contraire les atténuent
sont beaucoup moins connues. Très peu de recherches qualitatives existent, en
tout cas dans le système de formation professionnel initial en Suisse, qui
permettraient de mieux comprendre les réalités vécues par les jeunes en
formation et les raisons de ce qu'on décrit parfois comme la " crise " des
apprentissages professionnels. Depuis octobre 2005, notre équipe poursuit des
recherches sur ces situations d'apprentissage en se focalisant sur les
interactions entre apprentis, maîtres d'apprentissages et leurs collègues en
entreprise, ainsi qu'entre apprentis et enseignants dans les écoles
professionnelles qui les forment. Nous interrogeons les expériences vécues par
les apprentis dans le cours de leurs apprentissages dans ces différents lieux à
partir d'outils méthodologiques et théoriques issus notamment de la
sociolinguistique interactionnelle, de la critical discourse analysis et des
approches multimodales du discours (Filliettaz, de Saint-Georges & Duc,
2008), sur la base d'enregistrements audio-video. Dans cette
contribution, nous revenons sur deux aspects de notre démarche. D'une part, nous
présentons trois démarches de " restitutions " des produits de nos recherches
que nous avons entreprises auprès de différents acteurs engagés dans la
formation de futurs apprentis mécaniciens d'automobile (enseignants, apprentis,
patrons d'entreprise, …) : les " entretiens en auto-confrontation ", la création
d'un portfolio de " situations typiques " de formation documentant des
situations favorables ou au contraire défavorables aux apprentissages, et
l'échange collectif comme " knotworking " (Engeström, 2006). L'analyse de ces
restitutions permet de mettre en avant les demandes des acteurs, les contraintes
spécifiques à la restitution et les contenus de la restitution dès lors qu'on a
recours à des méthodes d'analyse du discours. D'autre part, nous discutons les
effets en retour de ces restitutions sur nos hypothèses de recherche, sur le
développement de nos méthodologies et modes de traitement des données, et plus
largement sur nos positionnement en tant qu'acteurs sociaux en prise avec ces
réalités sociales complexes. Nous discutons notamment de la nécessité d'ouvrir
l'empan temporel de nos observations pour étudier des trajectoires,
d'imaginer des modes de transcription pour rendre compte de situations
multimodales complexes et d'inventer des modes de restitution face aux demandes
d'acteurs soucieux de reconnaissance, demandeurs de solutions pratiques à des
problèmes locaux ou sociétaux dans un contexte en tension.
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