Enseignes publicitaires et demande sociale: Le cas des enseignes multilingues en Tunisie
 
 
"Le mot est l'indicateur le plus sensible de toutes les transformations sociales" (M Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, p. 38.)
Le discours publicitaire, oral et/ou écrit, de par son impact sur le comportement de l'individu, est appelé à recourir aux mots les plus brefs et les plus partagés par la communauté cible.
Le slogan publicitaire  est l'énoncé qui représente par excellence le discours dans sa dimension la plus large, celui que Benveniste définit comme : " toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le premier l'intention d'influencer l'autre en quelque manière " (Benveniste, 1966 : 42).
L'enseigne publicitaire répond-elle alors à une demande sociale quand elle fait appel à des mots étrangers, au dialecte et parfois à un mélange de deux langues ou plus ? Tel est le cas de l'enseigne publicitaire dans la Tunisie des dernières années.      
Si officiellement la Tunisie est un pays arabo-musulman dont la langue est l'arabe, la réalité linguistique actuelle du pays s'avère beaucoup plus complexe. A une question telle que : " quelle langue parlent les Tunisiens ? ", la réponse n'est pas évidente.
Pour répondre à cette épineuse question nous avons choisi d'étudier les enseignes (commerciales mais aussi non commerciales) des rues de quelques villes tunisiennes.
Il est à rappeler ici qu'en 1965, une étude des enseignes  -limitée à quelques rues de Tunis, capitale de la Tunisie- concluait que deux langues étaient en concurrence dans la production des enseignes, en l'occurrence l'arabe et le français. Quarante ans plus tard, et en l'absence d'une norme dans le domaine, c'est la foire aux langues qui caractérise les enseignes des villes et des villages de Tunisie.
Notre premier constat est que l'arabe, langue officielle du pays, est de plus en plus concurrencée par d'autres langues quand il ne leur cède pas la place. Il s'agit de langues étrangères que sont le français, l'anglais, l'italien, l'espagnol. Ces langues sont souvent transcrites phonétiquement par des caractères arabes, ou plutôt des caractères de l'arabe dialectal. Celui-ci est lui aussi transcrit en lettres latines. La situation est telle que nous pouvons parler de l'émergence d'une langue hybride qui devient la langue de la modernité, du moins pour une certaine catégorie sociale. 
Notre corpus de travail est constitué d'un ensemble de diapos numérisées d'après lesquelles nous présenterons dans une première étape une description de la réalité linguistique des enseignes en question dans la perspective de l'analyse du discours.
Notre intérêt portera par la suite sur les problèmes linguistiques que posent ces mêmes enseignes en relation avec la demande sociale qui serait à l'origine de la production du discours de ces mêmes enseignes.
Nous nous arrêterons dans notre étude sur un phénomène que nous considérons particulier aux pays du Maghreb en général, plus particulier à la Tunisie, il s'agit de l'émergence depuis quelques années du dialecte -officiellement minoré- mais qui occupe de plus en plus une place privilégiée dans la publicité et surtout dans la langue des enseignes. Pourrait-on dire alors que c'est par ce biais que le dialectal se trouve réhabilité, voire valorisé. C'est ce dialectal, en parallèle avec les langues étrangères, qui est devenue la langue de communication la plus répandue, dans les différents domaines du quotidien.
Notre étude de la langue des enseignes nous amènera à nous arrêter sur la représentation que les Tunisiens se font actuellement de la langue arabe classique -langue de la communauté- du dialecte -leur langue maternelle - et des  langues étrangères dans leur quotidien ainsi que de cette langue hybride qui a envahi l'espace public.
Ne pouvons -nous pas dire dans ce cas que la demande sociale amène à produire un discours particulier, dans un contexte particulier, par et pour une communauté particulière. La demande sociale se trouve ainsi à l'origine du discours produit, le modifiant perpétuellement. L'analyse du discours, en l'occurrence le discours de la communication, a-t-elle un impact dans la production du discours publicitaire des enseignes ?
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