Analyse de discours et demande sociale : enjeux théoriques et méthodologiques

Dans le cadre d'un projet de recherche sur la violence verbale, et suite à la rencontre avec une médecin sexologue responsable d'un " dispositif d'Accompagnement du Développement de la Sexualité " au sein du Conseil Général de la Marne, il m'a été demandé, pour les deux années à venir, d'intervenir à la fois auprès des mineurs auteurs et victimes de violence sexuelle, et auprès des professionnels qui en ont la charge. Le projet comporte donc deux aspects. D'un côté, il s'agit de participer aux suivis thérapeutiques des mineurs et de proposer des remédiations croisées entre accompagnement de la sexualité et expression de soi dans une dimension non-violente. D'un autre côté, il s'agit d'organiser des formations couplées auprès du personnel accompagnant du conseil général (assistants sociaux, éducateurs, assistants maternels, etc.). Conjointement aux interventions autour de la sexualité, les formations permettent de décrypter les empêchements langagiers liés à un discours sur la sexualité, et de déconstruire les pratiques langagières violentes des familles ou des mineurs suivis.
Ce projet comporte donc une phase nécessaire d'analyse ethnographique et discursive et une phase d'intervention. Les analyses discursives permettent de saisir les modalités et expressions linguistiques de la violence verbale des mineurs dans le cadre des violences sexuelles et de voir dans quelle mesure la violence verbale est le symptôme d'une souffrance autre. Les données sont multiples : rapports des professionnels sur les comportements violents des mineurs, récits personnels des mineurs, entretiens thérapeutiques, entretiens avec les éducateurs.
Pour cette communication, je me centrerai sur deux cas cliniques, un auteur et une victime de violence sexuelle. Dans un premier temps, j'exposerai ma démarche théorique pour montrer combien à travers un tel projet, la compréhension de la violence verbale liée à la violence sexuelle, par les différents genres discursifs et interactionnels mobilisés (rapports, récits, entretiens) et les outils d'analyse théoriques utilisés, s'inscrit nécessairement dans une dimension multimodale et multiforme. Je montrerai que mon approche se situe dans une dimension sémiotique sociale du discours (Halliday, 1978) autour d'un évènement singulier, lié à un contexte (Hymes, 1974 ; Heller, 1995), qu'elle en appelle à la circulation des discours idéologiques. Par " circulation des discours ", on entend la part constitutive pour un discours donné des objets et idéologies antérieures, idéologies portées par les discours hégémoniques (Heller, 2002 ; Fairclough, 1992). Au sens où pour Michel Foucault un discours est " constitué par l'ensemble de tous les énoncés effectifs dans leur dispersion d'événements et dans l'instance qui est propre à chacun " (1994, I : 705). Qu'est-ce qui se voit alors reproduit dans les actes et arguments violents, émis par les auteurs et victimes des violences sexuelles ? En même temps, une telle analyse sociale du discours ne peut faire l'impasse des analyses à la fois énonciatives, pragmatiques et interactionnelles des actes violents, essentiellement ici les menaces, le dénigrement et les insultes.
Dans un deuxième temps, et tel que soulevé par l'appel à communication, je montrerai que nos analyses doivent permettre aussi de répondre à une demande sociale et à des attentes particulièrement sensibles. Se posent alors très clairement des questions méthodologiques (anonymisation des données, secret médical) et des demandes de résultats (soin, compréhension, vulgarisation) qui mobilisent le chercheur et lui demandent de revisiter sans cesse ses propres pratiques d'analyse.