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Analyse du discours et construction sociale de la
réalité : étude de la désignation de l'enfant en danger
La réflexion proposée
ici trouve son origine dans un projet de recherche sur le discours autour du
signalement de l'enfant en danger, en réponse à une demande sociale émanant de
l'Observatoire National de l'Enfance en Danger. Aux questionnements empiriques
sur la représentation de ce qui ne va pas dans une situation familiale à travers
l'étude des mots problème (des problèmes d'alcool, d'apprentissage) et
difficulté (des difficultés relationnelles, à s'occuper de ses enfants) se sont
greffées des questions théoriques sur le rapport entre l'analyse du discours en
tant que pratique interprétative appuyée sur des formes linguistiques et le
paradigme de la construction sociale de la réalité développé dans différentes
disciplines des sciences humaines et sociales (Berger et Luckmann 1966, Hacking
2001). Ce dernier, dans sa version modérée et réaliste, pose que des catégories
qui apparaissent évidentes dans notre perception de la réalité (la maltraitance
à l'enfant, la guerre) sont modelées par des pratiques, des croyances et des
attitudes socio-historiquement situées. On discutera cette thèse en posant la
question de sa compatibilité avec l'analyse du discours et de son intérêt :
s'agit-il d'un simple cadrage épistémologique ou fournit-elle des catégories
opératoires pour l'analyse ? Ces questions seront abordées à partir
d'une étude de la désignation de l'enfant maltraité. Historiquement, la
maltraitance s'est constituée au fil de l'évolution des mentalités et des
pratiques citoyennes et législatives : l'enfant, de mauvais sujet à redresser,
est devenu un être dont le développement doit être accompagné. Corrollairement,
les désignations de l'enfant ont évolué. Une exploration des archives
départementales de Paris (XXe siècle) permettra de retracer les différentes
catégories utilisées par des institutions ayant elles-mêmes évolué au fil des
changements sociaux et legislatifs. Ensuite, une étude en synchronie de la
désignation de l'enfant et de sa famille dans un corpus de rapports écrits par
des éducateurs mettra en avant le rôle du discours dans la construction
d'archétypes. Pour conclure, on reviendra sur les relations entre
l'analyse du discours et le paradigme de la construction sociale de la réalité,
ce qui permettra de préciser le rôle de l'analyse linguistique du discours par
rapport à une demande sociale, tel qu'il est apparu dans notre travail.
Berger, Peter et Luckmann,
Thomas (1966). La construction sociale de la réalité, Paris,
Méridien-Klincksieck, 288 p. Foucault, Michel (1969). L'archéologie du
savoir, Paris, Gallimard, 275 p. Hacking, Ian (2001). Entre science et
réalité. La construction sociale de quoi ?, Paris, La Découverte, 296
p. Searle, John Ronald (1998). La construction de la réalité sociale, Paris,
Gallimard, 303 p. Siblot, Paul (1990). " Une linguistique qui n'a plus peur
du réel ", Cahiers de praxématique, 15, p. 57-76.
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