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Des
termes des experts aux mots des patients : un discours à
construire
Sous le joug de la demande
sociale, la relation médecin-patient est en mutation, passant progressivement du
modèle " paternaliste " traditionnel dans lequel le médecin décide du
traitement, au paradigme idéal participatif d'une décision médicale partagée.
Tout en étant aux prises avec les modèles antérieurs, les rôles se
reconfigurent. Le patient - devenu usager - est désormais censé être acteur de
soins qui lui sont proposés et non plus imposés, et dès lors, est présumé
détenir les éléments d'information nécessaires à son implication dans les choix
thérapeutiques. Ceci suppose que lui soit rendue disponible et appropriable une
information précise, complète, technique et fiable (Demma et al., 1999 ;
Moumjid-Ferdjaoui et Carrère, 2000 ; Jenkins et al., 2001 ; Cahmi et al.
2004).
Cette évolution modifie les
usages langagiers. Parler la même langue est en effet la condition fondamentale
du dialogue : les terminologies sont au cœur des échanges des patients avec les
professionnels de santé, mais aussi avec leurs proches ou d'autres patients. Or
les formes en circulation dans les communautés médicales, communautés
langagières inhomogènes, foisonnent, variant selon les échanges, les acteurs,
les supports, les lieux où elles circulent et les pratiques qui les convoquent.
La question de leur appropriation est cependant cruciale.
Aux côtés de cette
problématique de l'appropriation des terminologies se posent celles de l'image
de la maladie et des mots pour la dire, des représentations, liées aux rôles
sociaux des médecins et des malades, et celle des " malentendus " (Fainzang,
2006), des " surinterprétation " du discours médical. Songeons par exemple à
examen négatif, interprété parfois comme l'indice d'un mauvais pronostic, à
l'opposé même du sens exprimé par l'énonciateur.
Depuis plusieurs années, nous
sommes amenée à répondre à une demande applicative en intervenant dans le
circuit de production de documents destinés aux patients atteints de cancer et à
leurs proches (Carretier et al., 2004). Notre pratique s'articule entre
description des discours circulants, activité de recherche sur le fonctionnement
linguistique de cette vulgarisation spécifique, et propositions dans le but
d'optimiser des documents d'information.
Il existe une demande sociale
qui mène les linguistes à être sollicités comme " experts " afin d'évaluer les
pratiques langagières de divers points de vue ou d'émettre des propositions (cf.
par exemple Bouveret et Gaudin 1997 ; Depecker 1997 ; Delavigne 1999 ; de Vecchi
2004 ; Condamines, 2005, Léglise 1997, 2000…). Cependant, outre le fait qu'il
soit peu dans leur nature de prescrire, enjamber le versant applicatif n'est
guère commode et nécessite de savoir se situer par rapport aux discours
universitaires : dans quelle mesure s'en inspire-t-on ? Comment s'adapte-on ?
L'université ne forme guère à cet exercice périlleux, et il est parfois
difficile de tenir les deux bouts de la chaîne.
Conjuguer une problématique de
recherche à un cadre appliqué constitue néanmoins une occasion singulière de
tester modèles et concepts. Les deux versants, appliqué et théorique, se
complètent et s'enrichissent : la situation applicative permet de tester " en
direct " les concepts, d'estimer leur apport ou leur insuffisance et, du même
coup, de les faire évoluer, offrant un retour théorique fructueux. C'est ainsi
que se trouvent revisitées les notions de vulgarisation, de reformulation, de
norme, de communauté discursive, de destinataire… Examiner des textes produits
dans un cadre coopératif qui associe rédacteurs, spécialistes, patients et
proches nécessite d'élaborer une méthodologie outillée, qui doit s'appuyer sur
une bonne connaissance du terrain. Le dispositif d'analyse consiste alors à
saisir dans la matérialité discursive les contraintes des parcours
interprétatifs autour des termes convoqués, constitués en pivots, puis si
nécessaire, d'émettre des propositions. Nous tentons par là d'apporter un regard
informé sur la construction d'outils textuels efficaces et socialement
utiles.
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