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L'insulte
" socialement correcte " ?
Depuis plusieurs années,
l'insulte est devenue un objet d'études qui rallie les chercheurs de différents
domaines (psychologues, sociologues, linguistes,…). Les spécialistes du discours
s'y intéressent pour ses particularités linguistiques, pragmatiques et sociales,
mais sont également amenés à répondre à une demande concrète du terrain liée à
certains usages (ou mésusages) largement médiatisés et convertis en " problèmes
de société ". Dans cette optique, pointons les travaux de Diane Vincent sur
les propos insultants de certaines émissions radiophoniques au Québec (2004
notamment), qui nous semblent représentatifs de la question de l'engagement du
chercheur lorsqu'il s'attelle à un phénomène social complexe et au débat de
société qui s'ensuit. Citons encore l'étude du sociologue belge Philippe Vienne,
spécialiste des violences à l'école (2003) : l'actualité de sa thématique de
recherche l'oblige à participer à un discours social polémique où le chercheur
doit composer avec les " réclamations " des praticiens de l'éducation. En
2006, le Service de la Langue de la Communauté française de Belgique nous a
chargée d'une " recherche-action " s'inscrivant dans la lignée de travaux
sur le lexique " clandestin " (voir Rosier et Ernotte 2003) qui s'est révélée
" à double tranchant " quant à sa visée spécifique et son utilité : alors
que le Ministère attendait une simple description des variétés de français, les
acteurs rencontrés sur le terrain ont émis des requêtes sociales concrètes
(conférence-débat avec les parents à propos de la violence à l'école, soutien
psychologique et affectif d'enfants victimes de harcèlement, définition de la
notion de rapportage, etc.). La complexité du contexte a fait émerger un
premier axe de réflexion quant à notre position de chercheuse. En effet, nous
avons été confrontée à l'ambivalence de l'attitude sociale à l'égard de
l'insulte : stigmatisation d'une pratique sociale transgressive d'une certaine
norme, ou plutôt réhabilitation au nom de préoccupations lexicales ou ludiques
(voir les dictionnaires d'insultes, l' " insultatruc " générateur d'insultes sur
le site québécois ciboire.com,…). Dès lors, bien plus que de décrire des
pratiques discursives, le linguiste est amené à composer avec des pratiques
sociales complexes, à la mémoire parfois délicate. Quelle position doit-il
adopter ? Quelles implications quant au devoir d'objectivité du chercheur
? Par ailleurs, notre objet de recherche a généré une réflexion d'ordre
épistémologique. Le cadre théorique de l'AD est venu modifier la perspective
strictement contextualiste adoptée par les sociologues, les psychologues ou
encore les juristes (avec le concept de " texture ouverte " Hart 1961) par
rapport à la problématique de la violence verbale. En effet, nous
proposons de traiter l'insulte non seulement dans son contexte d'émergence, mais
également dans sa dimension " mémorielle " , dans son rapport à un " avant
" du discours, que cet avant se nomme dialogique ou interdiscursif. Cette
perspective implique de considérer la " mémoire du mot " et d'admettre
que, indépendamment du contexte dans lequel elle est proférée, l'insulte ne perd
jamais totalement son sens péjoratif et que sa profération contribue toujours à
la réactivation de son axiologie négative.
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