L'Hebdo du médiateur : entre débat citoyen et éducation médiatique

Malgré un retard remarquable, par rapport à la situation anglo-saxonne et à la demande sociale, la médiation - comme dispositif participatif de l'instance citoyenne à certaines pratiques discursives institutionnelles - occupe, dans l'espace public français, une place croissante. L'émission L'Hebdo du médiateur, diffusée sur la chaîne France2, depuis une dizaine d'années, illustre ce nouveau type de scènes démocratiques. Elle est née d'une volonté rédactionnelle mais aussi et surtout politique (appuyée par la Ministre de la Communication, Catherine Trautmann). l'objectif était d'afficher la vocation publique du service télévisuel dans l'espoir de regagner la confiance et la légitimité perdues auprès du téléspectateur (Romeyer 2005). La médiation médiatique se justifie donc également par la demande sociale : en général, par une revendication croissante de l'espace citoyen d'une implication dans le débat public (Doury 2004) ; en particulier, par la volonté du téléspectateur de participer à la construction de l'information comme objet public de formation et de connaissance (Mai 2008 : " Vous avez la possibilité et le devoir en tant que chaîne publique de faire changer les choses. Alors faites-le ! " Juin 2006 " Je ne paye pas une redevance pour qu'on me serve la propagande israélienne ").
L'émission confronte les points de vue de la rédaction, de téléspectateurs sélectionnés, plus rarement d'experts. Elle est centrée sur des sujets relatifs à l'actualité de la semaine dont le traitement a suscité des critiques. Cependant, selon Charon (2007), " L'enjeu est celui d'un ressourcement constant de la responsabilité des journalistes qui doit s'alimenter d'un débat public permanent sur la production de l'information ". Ainsi, sous la pression de la demande sociale, L'hebdo du médiateur devient un lieu d'interrogation sur les pratiques langagières médiatiques, il nous livre un discours sur le discours. Le discours d'information est lui-même construit comme événement discursif engageant des affrontements sur les façons légitimes de parler dans une formation sociodiscursive donnée (Achard 1988).
Par une analyse linguistique du discours, à partir d'un corpus d'une quinzaine d'émissions, cette communication étudiera comment est construite la demande sociale et comment se négocie cet espace de concertation sur le discours d'information. Nous montrerons que le débat citoyen est faussé par deux types de ressources apparemment contradictoires. Alors que le téléspectateur débattant tente de faire état d'une compétence discursive et métadiscursive, la rédaction se retranche dans une déconstruction de ce savoir. Elle nie les propriétés de la discursivité en mettant en scène une conception " miroir " (Koren 2004) du langage et des autres systèmes de sémiotisation. Elle exploite les propriétés de la discursivité en montrant le discours journalistique comme un espace de légitimité propre. Il est apparenté à un genre institué (Maingueneau 2004) de responsabilité morale servant l'intérêt général alors que la demande citoyenne est dite viser des intérêts particuliers (Doury & Lefébure 2006). Ainsi, le médiateur répond à un téléspectateur en duplex, qui reproche à la rédaction de faire peu état de l'actualité en Outremer, par l'énoncé suivant : " On a l'impression que vous travaillez à l'office de tourisme de la réunion ! " (mai 2008).
Bibliographie
Achard M. (1988), " La spécificité de l'écrit est-elle d'ordre linguistique ou discursif ? ", N. Catach éd., Pour une théorie de la langue écrite, Paris, éd. du CNRS.
Ali-Bouacha M. (1993), " Enonciation, argumentation et discours : le cas de la généralisation ", Semen, n°8, Université de Besançon-Les Belles Lettres, 41-62.
Amossy R. (éd.) (1999), Images de soi dans le discours. La construction de l'ethos, Lausanne, Delachaux et Niestlé.
Amossy R. (2000), L'Argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d'idées, Fiction, Paris, Nathan.
Doury M. & Lefébure P. (2006), "  "intérêt général , intérêts particuliers". La construction de l'ethos dans le débat public ", Questions de communication, 9, 47-72.
Doury M. (2004), " Entre discours scientifique, polémique et vulgarisation : un cas de controverse à thème scientifique ", R. Delamotte-Legrand (sous dir.), Les médiations langagières. Vol.II : Des discours aux acteurs sociaux, Rouen, Publications de l'Université de Rouen, pp. 97-108
Koren R. (2004), " Argumentation, enjeux et pratique de l'"engagement neutre" : le cas de l'écriture de presse ", Semen, 17.
Romeyer, L. (2005), " L'autoréflexivité télévisuelle comme redéfinition d'un espace public de débat ", XVIIè Congrès international des Sociologues de langue française, 5-6 juillet 2004.