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Discours, événements et identités collectives: Le cas de
l'altermondialisation
L'objectif est de penser les relations qu'entretiennent
événement, discours et identités collectives au prisme des discours de presse
ayant porté sur l'antimondialisation (devenue altermondialisation à partir de
2002). Au centre de la proposition : la relation étroite qui existe entre
événement mondain (du monde), événement discursif et configuration d'une
identité collective. L'étude relève de l'analyse de discours : il s'agit
d'étudier les processus discursifs qui ont conduit à la reconnaissance d'un
acteur politique collectif né d'un rassemblement protéiforme et a priori
insaisissable (Auboussier). Bien qu'elle soit l'héritière de mouvements de
pensée déjà anciens, l'antimondialisation naît clairement dans et par
l'événement. Le contre-sommet de Seattle en 1999 lui offre en effet un
premier " contexte de description " [Quéré 1994] et, par là même, une
consistance sémiotique permettant sa reconnaissance dans l'espace des discours
médiatiques. C'est une esthétique (des images), des mots d'ordre, des visages
(ou, plutôt, un visage, celui de José Bové), etc. Moment discursif clé de
l'antimondialisation, le contre-sommet de Seattle apparaît comme l'événement
originel du mouvement. Mobilisation après mobilisation, le paradigme
événementiel qui se configure ensuite favorise une inter-événementialité et
permet d'aborder des actions singulières comme faisant partie d'un processus
collectif et homogène de protestation ; et il assure ainsi la pérennité du
mouvement. C'est en effet dans l'enchaînement des performances militantes, dans
une dialectique de l'événement et du sens [Ricoeur 1999] que le mouvement
acquiert son identité et son récit dans les mois qui suivent l'événement
originel. Mais l'antimondialisation c'est aussi, et surtout, un événement
discursif constituant : l'apparition du label " antimondialisation ". Si Seattle
reste le temps des désignations instables et éphémères (" anti-OMC ", "
société civile internationale ",…), les semaines suivantes voient la
généralisation d'un terme -antimondialisation- qui assure la catégorisation en
coordonnant la diversité sociologique et politique du mouvement social. Le label
est ce par quoi l'antimondialisation s'individualise. Il revêt une dimension
performative en ce qu'il permet l'identification et la reconnaissance d'un
nouvel acteur collectif. Et rapidement, l'on passe de la
désignation/description à la dénomination. Au cours de l'année 2002,
l'antimondialisation devient altermondialisation. La requalification du
mouvement illustre bien moins l'assimilation de nouvelles normes de conduite
dans l'espace militant qu'elle n'illustre la quête de reconnaissance publique
entreprise par les organisations dans le contexte politique ouvert par
l'attentat contre les Twin Towers. Après le 11-Septembre, la valeur adversative
que revêt le préfixe " anti " pose en effet problème et la paronomase qui
conduit au nouveau préfixe induit une véritable inversion sémantique.
Cette stratégie de requalification et de neutralisation de l'injonction
antimondialisation vise l'espace public médiatique dans une période où le
mouvement veut échapper aux démons de la violence et légitimer sa force de
proposition. Cette évolution préfixale initiée par l'espace militant et
largement reprise dans l'espace médiatique attire notre attention tant elle
illustre le poids du discours et de la dénomination dans la définition de
l'identité collective et dans la définition des enjeux mêmes du mouvement
social.
Mots clés dénomination, discours, événement,
identités collectives, médias
AUBOUSSIER, J. : L'antimondialisation dans la presse
française : événement, problème public et discours social, thèse de
doctorat. CEFAÏ D., " La construction des problèmes publics. Définitions de
situations dans des arènes publiques, Réseaux, 75, p. 43-66, 1996. LAMIZET
B., Sémiotique de l'événement, Paris : Hermès-Lavoisier, 2006. QUERE L., " Le
langage dans l'organisation sociale de l'expérience ", Sociétés contemporaines,
18-19, p.17-41, 1994. RICOEUR P., " Evénement et sens ", Raisons pratiques,
2, p. 41-56, 1999.
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