Charlotte DANINO
École Normale Supérieure de Lyon / Université Paris7 - Diderot
charlotte.danino@ens-lyon.fr
 
Événement, langage, linguistique : le problème de la construction du sens dans le discours sur l'événement

L'événement entendu dans son sens courant peut être défini comme un fait parmi les autres qui est particulièrement saillant, chargé d'un sens particulier pour le(s) sujet(s) qui en font l'expérience. Les définitions de la notion en histoire et en philosophie confèrent toutes à l'événement, en plus d'un effet de saillance, d'entretenir un lien nécessaire au langage : il se dit, se raconte, se débat, se transmet par le langage.  Les liens entre événement et langage dans le discours invitent à envisager le problème des relations entre herméneutique et linguistique : qu'en est-il des mécanismes de construction et de compréhension du sens dans le cadre de discours dont l'enjeu est précisément de comprendre de ce qui s'est produit pour en dégager un sens ? En suivant Bühler (2009) et ses trois fonctions du langage - exprimer, représenter, appeler - nous envisagerons la dynamique langagière de l'événement pris dans la langue en tant qu'il en montre (et mobilise) la puissance d'évocation, de convocation et d'invocation. Notre communication vise à présenter ces hypothèses et les premiers éléments d'analyse d'un corpus ciblé pour les soumettre à la discussion.
Ces mécanismes d'émergence et de construction du sens au centre de la grammaire instructionnelle (Col 2008, 2010), héritière des grammaires cognitives et de la théorie culiolienne de l'énonciation qui permet d'envisager les différents aspects de l'événement dans le langage - perception, conceptualisation, expression - au sein d'un projet d'analyse et de modélisation centrée sur la construction dynamique du sens. Cette réflexion méthodologique s'appuie sur l'examen d'un corpus exemplaire : le direct de CNN du 11 septembre 2001. Ce discours se déroule quasi simultanément avec les événements qu'il s'agit explicitement de comprendre, en rassemblant plusieurs locuteurs dans un projet herméneutique commun. L'exploration de ce corpus à la lumière des hypothèses théoriques formulées précédemment visera à envisager les aménagements linguistiques nécessaires pour dire l'inconnu, l'exceptionnel, voire l'indicible. En fin de compte, il nous intéresse de réfléchir aux notions de sous-spécifications des instructions linguistiques portées par les unités dans un contexte où l'incompréhension se heurte au grand besoin de précision. Ces premières analyses se porteront ainsi sur la reconstruction d'une formule figée (frequent flyer), les mécanismes d'euphémisation générale du discours ("I don't think that this represents an accident") ou encore le trajet et la circulation de certaines lexies au fil du corpus (progression quantitative de fly, nominalisation progressive de crash). In fine, c'est le jeu de la contrainte et de la créativité du langage face à l'événement qu'il nous intéresse de considérer.
 
Mots clés : construction dynamique du sens, contrainte discours,, événement, nominalisation
 
APTEKMAN, Jeanne et COL, Gilles, " Construction du sens par instructions dynamiques ", Actes des Rencontres interdisciplinaires sur les systèmes complexes naturels et artificiels, janvier 2010, en ligne à s4.csregistry.org/tiki-download_file.php?fileId=147
BÜHLER, Karl, Théorie du langage, Agone, Paris, 2009.
COL, Gilles, " Théories cognitives et l'hypothèse de l'émergence du sens ", version remaniée, Tropismes, 2005.
CORRE, Eric, De l'aspect sémantique à la structure de l'événement - Les verbes anglais et russes, Presses Sorbonne Nouvelle, 2009.
DOSSE, François, Renaissance de l'événement. Un défi pour l'historien : entre sphinx et phénix, PUF, 2010.