Lucile DAVIER
École de traduction et d'interprétation, Université de Genève
Lucile.Davier@unige.ch
 
L'attentat aérien déjoué d'août 2006 : un événement au conditionnel passé
 
L'attentat aérien déjoué en août 2006 est une construction médiatique un peu particulière étant donné qu'elle relate des faits inexistants, mais qui auraient pu avoir lieu. Dans un premier temps, il conviendra de se demander si nous pouvons considérer cette construction comme un événement, notamment en faisant appel au concept d'" événement " chez L. Quéré (1997) et J. Arquembourg (2003). Dans un second temps, nous tenterons de répondre à une autre interrogation fondamentale : comment les journalistes ont-ils pu satisfaire à la règle des 5 W étant donné l'absence relative de faits (en effet, le complot terroriste a été contré) et la confidentialité du dossier qui a empêché les politiques de révéler des informations concrètes ? Nos observations sont réalisées sur un corpus d'environ 80 articles de journaux tirés de quotidiens français, suisses romands, britanniques et américains.
Tout d'abord, nous examinerons la présence de marques du discours rapporté, que D. Maingueneau classe sous le terme générique de " polyphonie énonciative " (2007 : 110). Nous comparerons notamment les différentes utilisations du discours direct et indirect selon le type de support. Nous analyserons également le type de sources qui sont mentionnées dans les articles de notre corpus (sources anonymes, politiques, professionnels du renseignement, experts, etc.) et tenterons d'expliquer la prédominance des citations anonymes.
Ensuite, nous nous pencherons sur l'usage des outils de modalisation dans la perspective d'une prise de distance avec le discours. La palette de ces outils varie bien entendu entre l'anglais et le français, mais, si ces différences linguistiques compliquent un peu l'analyse, elles n'empêchent pas d'observer différentes réalisations du même phénomène. Liant la question de la modalité au concept de polyphonie énonciative, nous aurons également recours à la " modalisation en discours second " (Maingueneau, 2007 : 122) pour étudier la distance que les journalistes peuvent prendre par rapport aux sources qu'ils citent.
Pour terminer, nous nous tournerons vers ce que nous pouvons appeler, par extension, la modalisation hors du discours second, c'est-à-dire sans référence à un discours rapporté. Dans des termes moins linguistiques, nous pourrions parler de procédés de scénarisation soutenus par des marqueurs de modalisation, marqueurs qui tracent une limite entre information et fiction. Selon G. Leblanc (1997), ce phénomène peut être classé dans la catégorie des " scénarios de l'hypothétique " passé puisque les journalistes reconstruisent a posteriori une situation qui n'a pas eu lieu, mais qui était envisagée. D'après cet auteur, cette stratégie permet de combler l'incertitude de la situation d'énonciation liée au manque de sources d'information primaires.
 
Mots clés : événement, modalisation, polyphonie, scénarisation, terrorisme
 
ARQUEMBOURG, Jocelyne, Le temps des événements médiatiques, De Boeck, Bruxelles, 2003.
LEBLANC, Gérard, Scénarios du réel, L'Harmattan, Paris, 1997.
MAINGUENEAU, Dominique, Analyser les textes de communication, Armand Colin, Paris, 2007.
QUÉRÉ, Louis, " Introduction ", in Réseaux, " Sociologie de la communication ", vol.1 (1), 1997, p. 415-432.