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Béatrice FRACCHIOLLA
Université Paris 8,
MSH Paris Nord, SYLED - CLESTHIA, Paris 3 bearfrac@yahoo.com
La place de l'événement dans la prise de conscience
écologiste
L'analyse d'une série d'entretiens individuels semi ouverts
réalisés avec des militants écologistes verts français (22) et italiens (20) met
en évidence certaines récurrences concernant la notion d'événement. À partir de
la question " et comment êtes-vous devenu vert? " ou " comment êtes-vous arrivé
chez les verts? ", se déroule de façon presque systématique un récit
autobiographique qui, faisant appel à la mémoire et à l'émotion, isole de
manière tout à fait distincte un événement marquant - voire deux (Leclerc-Olive,
1997). Cet événement, dit " du monde ", qui est d'abord un fait d'actualité
devenu historique, est de nature politique, économique, et plus souvent,
simplement, écologique. Dans l'élaboration du récit de nature mémorielle et
explicative, qui vise à exposer les raisons qui ont poussé l'individu à " entrer
chez les verts ", ou " militer chez les verts ", ou " se rapprocher " des verts,
cet événement se constitue en moment-clé. Il se dote donc d'un sens particulier,
personnel, fort. Il est donné comme le révélateur d'une soudaine évidence et
nécessité à prendre en compte l'existence même du fait écologique, qui entraîne
une prise de conscience, et par suite, le désir d'agir et de militer au sein
d'un parti vert (Davidson, 1980 ; Fracchiolla, 2003). Nous nous proposons
d'étudier la relation qui est alors créée dans le discours, et par le discours,
entre événement du monde et événement personnel/privé. La construction
discursive, énonciative et mémorielle du récit autobiographique montre la
manière dont un événement du monde donné, comme par exemple la marée noire de
l'Amococadiz en 1978, transfère une partie de sa matérialité et de sa réalité -
de sa violence aussi, certainement - à la prise de conscience politique chez un
individu en phase de devenir militant écologiste (Guilhaumou, 2006). Par son
appropriation personnelle et symbolique du sens d'un événement public et
d'actualité, l'individu en fait, en quelque sorte, la première pierre de son
identité " verte ". C'est par le biais de la représentation qu'il en a
qu'il l'inscrit comme marquant (Berger & Luckmann, 1996). […] Dans la
construction discursive de son identité verte/écologiste, les militants recréent
l'événement qui, d'extérieur, devient intérieur, retravaillé en même temps par
la mémoire. La dimension personnelle et individuelle du sens pris par
l'événement est donc à chaque fois unique, et contribue également à son
interprétation d'un point de vue historique. C'est aussi par le biais de
l'événement, d'abord collectif, que l'individu, touché par ce même événement, se
l'approprie pour lui redonner une symbolique d'appartenance collective et
militante : il devient ainsi membre du groupe des personnes sensibilisées par
cet événement particulier (Halbwachs, 1994; 1997). Les cadres théoriques et
méthodologiques seront ici ceux de l'énonciation et de l'analyse de discours,
ainsi que de l'analyse statistique des données textuelles - en particulier, avec
le logiciel Lexico3 développé à l'université Sorbonne nouvelle - Paris 3.
Mots clés : analyse de discours, écologie
politique, histoire, récit autobiographique
Berger, P. et Luckmann, Th. (1996 [1966]) : La construction
sociale de la réalité. Paris, Méridiens Klincksieck. Davidson, D. (1980):
Essays on Actions and Events. Oxford, Clarendon Press (Traduction française :
Actions et événements, Paris, PUF, 1993). Fracchiolla, B., Ecologie et
altérité : du discours de valeurs au discours de droits, Thèse pour le doctorat,
Université de Paris 3, M. Abdallah-Pretceille (dir.), 2003. Guilhaumou, J.
(2006) : Discours et événement. L'histoire langagière des concepts. Presses
universitaires de Franche-Comté. Halbwachs, M. (1994 [1995] : Les cadres
sociaux de la mémoire. Paris, Albin Michel. Leclerc-Olive, M., Le dire de
l'événement (biographique), PU du Septentrion, coll. Sociologie,
1997
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