Geneviève HENROT SOSTERO
Facoltà di Lettere e Filosofia dell'Università degli Studi di Padova
genevieve.henrot@gmail.com
 
La réminiscence comme événement : saillance, agentivité, transformation
 
Les familiers d'À la Recherche du temps perdu de M. Proust savent combien la résurgence d'un souvenir involontaire compte dans la vie du héros comme un véritable événement : ce " bouleversement de toute ma personne " est riche en conséquences pratiques, puisqu'une série d'entre eux amènent le protagoniste au passage à l'acte : à l'accomplissement de sa vocation, à l'écriture de son grand roman. Sur le plan des lois narratives (Adam 1992), la réminiscence opère donc une transformation radicale (apicale), en tant qu'elle métamorphose le héros, de mondain oisif et paresseux en écrivain solitaire et acharné. C'est qu'elle a, comme un soulèvement géologique, le pouvoir de déstabiliser les coordonnées spatiales et temporelles usuelles, et de ramener en plein jour un passé oublié, " matière précieuse " du roman.
Or la mise en œuvre linguistique de la réminiscence n'est pas une exclusive proustienne : on la rencontre dans nombre d'œuvres modernes (surtout depuis Rousseau) et contemporaines, dans la lignée de Proust. Œuvrant sur un corpus de plus de 160 occurrences textuelles de réminiscences (dont 100 tirées de la Recherche, Henrot 1991-2008), la présente réflexion veut mettre en lumière, en particulier, les constantes linguistiques qui marquent ce type de discours événementiel.
Le brutal télescopage des cadres spatio-temporels dû à la réminiscence s'exprime dans le subtil " jeu " des tiroirs verbaux sur les axes de l'antériorité/postériorité et de l'avant-plan/arrière-plan (Weinrich 1963, Ricœur 1983-5, Gosselin 1996, Réseaux 75-76-139), et sur un système d'oppositions perceptives cardinales. Par ailleurs, le caractère événementiel de l'épiphanie atteint profondément les aspects du prédicat (singulatif vs itératif, inchoatif vs terminatif etc., RLV 37 2008). Quant à l'émotion forte qui en jaillit, elle s'inscrit dans une modalisation subjective où la volonté de l'esprit en quête de savoir se trouve momentanément mise en échec (ou du moins en sursis). Mais surtout, le caractère involontaire de l'événement, dont le personnage remémorant n'est pas l'actant, mais tout au plus le siège, le bénéficiaire ou la victime, s'appuie sur une transformation superficielle de la syntaxe imposée aux cas profonds (Fillmore 1971, 2003 ; Davidson 1980) en une constante démotion du sujet (Guillaume 1929) responsable de nombreuses constructions moyennes (Melis 1990), passives (Schøsler 2000) et impersonnelles (Maillard 1991) ; ou bien des constructions actives dont, non certes l'agent, mais la cause agentive est dévolue à l'objet, à la sensation, à la cognition, à l'émotion, ou à l'événement lui-même. L'intense travail des sens et de l'esprit enclenché à l'occasion de l'événement de mémoire requiert, pour être transmis au lecteur, un travail morphosyntaxique de la langue, une " grammaire de l'événement " intime (Van de Velde 2006) qui frappe par ses constantes, quel que soit l'auteur abordé.
 
Mots clés : aspect, grammaire des cas, mémoire involontaire, Proust, voix moyenne
 
Glaudes, Pierre, Meter, Helmut (eds.) (2005), Le sens de l'événement dans la littérature du XIXe et XXe siècles, Actes du Colloque international de Klagenfurt.
Melis, Ludo (1990), La Voie pronominale, Gembloux/Paris, Deboeck-Duculot.
Recherches linguistiques de Vincennes n° 37 (2008) : Aspect et pluralités d'événements.
Rousseau, F., Thomas, J.-F. éds (2008) : La fabrique de l'événement, Paris, Houdiard Éditeur
Van de Velde, D. (2006) : Grammaire des événements. Presses Universitaires du Septentrion