Carole JARRIN-CALISTRI
D.A.T.I.E.F., Université de Nice Sophia-Antipolis
et LIDILEM, Université Stendhal Grenoble
carole.calistri@unice.fr
 
Un événement discursif entre prescrit et réalisé : le dialogue laborieux de l'homélie

Pour les chrétiens et plus spécialement pour les catholiques, la messe est un événement. Désignée comme "  source et sommet de la vie chrétienne " par le dernier Concile, elle est, du point de vue de la construction, la représentation et l'interprétation des événements, en lien avec la mémoire, la culture, l'histoire et la société, par et dans le langage, un objet complexe pour de très nombreuses raisons : entre autres, elle figure un événement unique - le sacrifice du Christ - reproduit des centaines de milliers de fois.
Dans ce cadre déjà paradoxal, se trouve un autre objet discursif : l'homélie. La particularité qui nous intéresse ici est son caractère à la fois institutionnel et ordinaire. Institutionnel parce qu'il trouve place dans un déroulement établi depuis plus de quinze siècles par l'usage et un nombre important de " textes de cadrage ", et institutionnel également par ses objectifs qui sont fixes et fixés : l'exhortation-édification des fidèles. Et ordinaire, parce qu'il constitue l'une des activités visibles, très facilement accessible à qui le souhaite, du ministère ordinaire du prêtre ou du diacre, ordinaire du point de vue du langage et de la langue, parce qu'il s'adresse, mais dans un cadre liturgique, aux contemporains pour eux-mêmes et, au moins en partie, avec " leurs " mots.
Nous nous attacherons à la description de l'objet homilétique en tant qu'il est un lieu textuel de tension entre le codé et le libre, le prévu-prescrit et l'imprévisible. Pour le dire d'une autre manière, il nous semble qu'il est représentatif/symbolique du langage lui-même : comme Bakhtine, et d'autres avant ou après lui l'ont indiqué, nous parlons, depuis que les hommes parlent, et disons des choses nouvelles, des phrases jamais entendues ni produites mais avec les pièces d'un legs si ancien qu'il nous est impossible d'en déterminer précisément les origines lointaines ou proches, le lest des usages qui nous ont précédés.
Pour l'homélie, il s'agit tout à la fois d'un fait langagier ordinaire dans un cadre langagier extra-ordinaire (une partie de la messe s'appelle dialogue et les missels indiquent le détail des paroles, rituelles autant pour le célébrant que pour l'assemblée, que l'un et les autres doivent prononcer) mais aussi d'un exercice qui doit donner à voir-entendre une qualité divine : le texte sacré, point de départ de l'homélie, est vivant, c'est-à-dire qu'il continue à parler - à tous les sens du terme - aux auditeurs, dès qu'ils sont tels. En termes jakobsoniens, le message est l'émetteur, l'émetteur apparent est le canal.
Nous nous attacherons également au fonctionnement de l'objet homilétique du point de vue de son " producteur ". En considérant que l'homélie - sa préparation éventuelle, sa profération et la propre réception qu'en fait celui qui l'a dite -  est un travail d'une part et un travail linguistique/langagier adressé d'autre part, on convoquera ici les apports de la clinique de l'activité en exposant l'une de ses méthodologies : l'auto-confrontation croisée, qui réclame une explicitation réflexive sur l'objet produit.
 
Mots clés : autoconfrontation, clinique de l'activité, genre, homélie, travail
 
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique de la création verbale, " Les genres du discours ", Paris Gallimard, 1984.
Dietrich Bonhoeffer, La parole de la prédication, Labor et Fides, 1965-1992 pour la trad. fr.
Yves Clot, La fonction psychologique du travail, PUF, 2006 ; Le travail sans l'homme, La Découverte, 2008 ; Travail et pouvoir d'agir, PUF, 2008.
Daniel Faïta, " Mondes du travail et pratiques langagières ", Langages, vol 24, n° 93, 1989 ; (avec Marcos Vieira)  " Réflexions méthodologiques sur l'auto-confrontation croisée ", Skholê, hors série n°1, 2003.
Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, Armand Colin, 1998 ; Le discours en interaction, Armand Colin, 2005.