|
Marty LAFOREST
Département de Lettres et
communication sociale Université du Québec à Trois-Rivières marty.laforest@uqtr.ca
Le motif de l'appel d'urgence :construction d'un
événement et de la crédibilité de l'appelant
Un événement inhabituel et malheureux motive tout appel
téléphonique au service d'urgence (911 en Amérique du nord). L'une des premières
tâches du répartiteur est d'établir la nature de cet événement afin de le faire
correspondre à l'une ou l'autre des catégories d'aide qu'il est susceptible de
mobiliser (Fele, 2006). La manière dont l'événement est nommé, construit dans le
discours est par conséquent cruciale. Nous souhaitons montrer qu'elle engage
souvent les deux interlocuteurs et que dans la variété de ses formes, elle
exhibe des traces de la représentation que se fait l'appelant 1) de ce qu'est un
événement relevant du service d'urgence ; 2) de l'interaction et du rôle qu'il
doit y jouer. Les diverses désignations s'insèrent dans une trame plus ou moins
narrative (Imbens-Bailey et McCabe, 2000) et l'analyse d'appels à la police
montre qu'elles oscillent entre la désignation d'un état de choses (ex. " tous
mes papiers ont disparu ") et celle d'un crime dont il est le résultat (ex. " je
me suis fait voler ma moto ") ; entre une désignation " profane " (ex. " ils ont
battu mon mari pis ils sont partis avec le coffre-fort ") et une désignation
technique (ex. " j'ai été victime d'un vol à main armée ") du crime ; entre une
désignation explicite et une désignation si allusive qu'elle laisse au
répartiteur le soin de nommer véritablement l'événement. L'ensemble des formes
de désignation relevées présente donc (entre autres) une variation du degré
d'interprétation de l'événement (Cromdal et al., 2008), du type de catégorie
(sociale, juridique) dans laquelle l'appelant le fait entrer, et du degré de
distanciation du locuteur par rapport à l'événement. Ces variations donnent
à voir, en filigrane, un appelant soucieux d'apparaître comme un interlocuteur
crédible et fiable (Bergman, 1994; Whalen et Zimmerman, 1990), mais aussi et
surtout les éléments qui, pour l'appelant, semblent essentiels à l'établissement
de cette crédibilité : distanciation pour les uns, importante mise en contexte
pour les autres, démonstration ou au contraire occultation de l'émotion. Le
corpus de l'étude, menée dans une perspective discursive et interactionnelle,
est constitué d'une cinquantaine d'appels au service d'urgence 911.
Mots clés : analyse de discours, analyse des
interactions, appels d'urgence, désignation d'événement, interaction,
Bergmann, J. (1994) : " Authentification et fictionalisation
dans les conversations quotidiennes ", dans A. Trognon et al. (dir.) : La
construction interactive du quotidien, Nancy, Presses de l'Université de
Nancy. Cromdal, J. et al. (2008): " Context that matters : Producing
'thick-enough descriptions' in initial emergency reports ", Journal of
Pragmatics, 40, p. 927-959. Fele, G. (2006) : " La communication dans
l'urgence. Les appels au secours téléphoniques ", Revue française de
linguistique appliquée, vol. XI, n° 2, p. 33-51. Imbens-Bailey, A. et A. Mc
Cabe (2000): " The discourse of distress : A narrative analysis of emergency
calls to 911 ", Language and Communication, vol. 20, p. 275-296. Whalen, M.
et D. Zimmerman (1990) : " Describing trouble : practical epistemology in
citizen calls to the police ", Language in Society, 19, p.
465-492.
| |