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Dire les "événements" des banlieues : de la construction
du contrat de communication dans Le Monde et Le Figaro (1981, 1990,
2005)
Émeutes, harcèlements, guérilla urbaine, un petit mai 68,
Intifada des banlieues, révolte, explosion... Voici quelques-unes des
désignations utilisées par les journalistes pour se référer aux faits de
violence qui ont eu lieu dans les banlieues françaises au cours d'une trentaine
d'années, et notamment à La Courneuve (1971), Vénissieux (1981), Vaulx-en-Velin
(1990), Toulouse (1998), Clichy-sous-Bois (2005), Villiers-le-Bel (2007). Ces
événements ont reçu une large couverture médiatique à partir de 1981, mais ce
n'est qu'en 1990 que les journaux y ont consacré leurs unes, donnant naissance
au " problème des banlieues ". On le sait, pour qu'une occurrence se transforme
en événement il faut non seulement une mise en discours de la part de quelqu'un
(pour nous, les journalistes), mais aussi une mise sous description (une
dénomination) qui donne à l'événement son caractère d'évidence et induise des
représentations de nature stéréotypique (Krieg-Planque, 2009). Cette opération
n'est bien sûr pas neutre, car toute description oriente et délimite
l'interprétation de l'événement (Neveu et Quéré, 1996). Les différentes
dénominations attribuées aux faits de violence qui se sont produits dans les
banlieues françaises confèrent chacune à ces épisodes un degré différent de
représentativité dans le continuum événementiel délimitant la catégorie des "
violences urbaines ". Il s'agit alors de comprendre quel type d'intelligibilité
(Krieg-Planque, 2009) il faut assigner à ces étiquettes, ce qui revient à se
poser la question des conditionnements auxquels le contrat de communication est
soumis dans le cas de la presse écrite. Les possibilités sont multiples : d'un
côté, il s'agit d'un positionnement vis-à-vis de l'instance politique, de
l'autre côté, de l'obéissance au principe de captation qui repose sur trois
règles fondamentales: faire sérieux, donner du plaisir et être emphatique
(Lochard et Boyer, 1998: 23). Nous essaierons d'analyser ces aspects à partir
de l'étude d'un corpus composé des articles parus dans Le Monde et Le Figaro
lors des émeutes de 1981, 1990 et 2005. Nous prêterons d'abord attention aux
noms d'événements et aux désignations utilisées pour nommer les acteurs des
violences. À ce niveau, l'opposition entre " parler vrai " et " politiquement
correct " se manifeste à travers un différent calibrage entre dénominations non
atténuatives et formes d'atténuation, ainsi qu'une différente utilisation
métadiscursive des désignations elles-mêmes. Mais, d'une manière plus subtile,
le traitement des faits de violence passe également à travers un usage avisé des
métaphores (Clichy-sous-Bois reste une poudrière ; Désormais, à la moindre
étincelle, Clichy-sous-Bois s'embrase) et des métonymies (la banlieue parisienne
sous le choc). Nous essaierons de montrer comment le contrat de communication se
construit à chaque épisode de violence de manière différente selon le journal,
et selon les époques.
Mots clés : atténuation, crise des banlieues,
dénomination, figures de rhétorique, médias
Djorjevi? K. (2007), " Violence urbaine: lorsque la presse en
parle ", in Boyer H. (éd.), Stéréotypage, stéréotypes: fonctionnements
ordinaires et mises en scène, Tome 1, Média(tisation)s, p.
135-150. Krieg-Planque A. (2009), " À propos des "noms propres d'événement",
Événementialité et discursivité " in Lecolle, M., Paveau, M.-A., Reboul-Touré,
S. éds. (2009) : Les Carnets du Cediscor 11 : Le nom propre en discours. Paris,
Presses Sorbonne Nouvelle. Lochard G. et Boyer H. (1998), La communication
médiatique, Paris, Seuil. Neveu E. et Quéré L. (1996), Présentation, Le temps
de l'événement, Réseaux, 75, p. 1-16. Peralva A. et Macé E. (2002), Médias et
violences urbaines. Débats politiques et construction journalistique, Paris, La
documentation française.
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