|
Documentaire : événement discursif, mémoire,
interprétation
Nous analysons un documentaire, São Carlos/1968, de João
Massarollo, réalisé en 2008 sur un événement : une manifestation de rue
réunissant des chômeurs en 1968, qui selon le récit des participants ne
cherchaient qu'à obtenir l'appui de la société locale pour les aider à vivre.
Or, ils se sont étonnamment retrouvés face à des policiers armés de
mitraillettes et appuyés par des chars d'assaut qui les ont violemment dispersés
et ont procédé à des arrestations. L'objectif de notre analyse (qui place la
matérialité de la langue dans la discursivité de l'archive [J. Guilhaumou et D.
Maldidier,1994], car la matérialité de l'archive impose sa propre loi à la
description) est de montrer ce documentaire lui-même comme un événement
discursif (point de rencontre d'une actualité et d'une mémoire [M. Pêcheux,
1981]) qui, en montrant ce que les participants racontent, produit une
interprétation distincte de celle des participants, car, il lie le discours des
manifestants aux relations de force d'une conjoncture donnée. L'histoire vise à
documenter un événement. En parlant d'un fait, elle le place dans l'histoire.
Ce documentaire recherche la mémoire (des sujets) qu'il met dans l'histoire
en montrant/disant/signifiant. Il interprète l'événement raconté en tant que
fait politique : la première marche de protestation faite dans l'intérieur du
Brésil, réprimée par la dictature militaire. En construisant un objet
symbolique, ce documentaire produit un découpage du réel, pris comme événement
discursif. Son historicité réside dans la configuration qu'il produit comme
partie de la mémoire, " possibilité d´une déstructuration-restructuration de ces
réseaux " (M. Pêcheux, 1981). C´est un événement discursif qui produit un geste
d'interprétation intervenant dans le réel du sens et provoquant un autre effet
de mémoire (M. Pêcheux, 1983, M. Halbwachs, 1997), une autre version de ce qui
est narré. En resignifiant la mémoire des sujets, il place dans l'histoire ce
qui était passé sous silence. Il s'agit d'une nouvelle reprise et non pas d'une
répétition et la nouveauté se trouve autre part, dans le retour de l'archive (J.
Guilhaumou et D. Maldidier, idem). Événement qui parle d'un événement (comme le
dirait Benveniste [1966] " c'est un événement car il crée de l'événement ", avec
sa valeur réflexive), il semble renvoyer à un " même " fait alors qu'il ne
construit pas les mêmes significations. Ce documentaire, en faisant retourner
l'événement, montre l'évidement du politique (sous la botte de la dictature,
avec sa censure) et, ce faisant, son auteur trouve une façon pas directement
politique de montrer le politique, et ses multiples effets.
Mots clés : documentaire, événement discursif,
interprétation, matérialité symbolique, mémoire
E. Benveniste (1996) Problèmes de Linguistique Générale I,
Gallimard, Paris. J. Guilhaumou et D. Maldidier (1994) " Effets de l'archive.
l'analyse de discours du côté de l'histoire ", in Gestos de leitura, Et. P.
Orlandi (org), Ed. Unicamp, Campinas. M. Pêcheux (1981) Discours : structure
ou événement, Pontes, Campinas. M. Pêcheux (1983) " Rôle de la mémoire ",
ENS, Paris. M. Halbwachs (1997) La mémoire collective, Paris, Albin
Michel.
| |