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Nommer un événement en cours : la tentative de coup
d'État de 2002 au Venezuela
Dans le cadre d'une réflexion sur le rôle du langage dans la
construction des événements, nous nous proposons d'observer, dans une
perspective d'analyse du discours, la nomination de l'événement que constitue la
tentative de coup d'Etat d'avril 2002 au Venezuela, lors de laquelle Hugo Chávez
a été renversé et remplacé, pendant à peine quarante-huit heures, par un
président provisoire. L'analyse a été menée sur un corpus comprenant les
éditions de trois grands quotidiens vénézuéliens (El Nacional, El Universal, et
Últimas Noticias) entre le 12 avril et le 15 avril 2002, c'est-à-dire à partir
de l'annonce dans les journaux de la chute d'Hugo Chávez, jusqu'à celle de son
retour au pouvoir. Il s'agit donc d'observer comment est nommé cet événement
politique majeur au moment où il surgit. On considère que la nomination est
constituante de l'événement, car elle permet de regrouper les multiples éléments
de la réalité qui le composent pour en faire un référent unique, et ce faisant,
de lui donner un sens (Véniard 2007). Qui plus est, elle nous semble jouer un
rôle fondamental dans l'étude du surgissement d'un événement : le nommer permet
de le catégoriser dans une certaine classe d'événements, de l'identifier " sous
une description " (Quéré 1994, Quéré et Neveu 1996). De l'examen de notre
corpus ressort la présence d'une constellation de désignations, mettant en
évidence une instabilité référentielle : dans ce contexte de bouleversement
total de l'ordre établi, il est difficile de savoir précisément ce qui est en
train de se passer. Par ailleurs, certains indices révèlent que la nomination de
l'événement constitue en soi un enjeu : elle est l'objet de déclarations
rapportées dans les journaux, et certaines désignations sont signalées par ces
derniers comme faisant l'objet de controverses. Parmi celles-ci se détachent
deux désignations qui orientent l'événement vers deux " descriptions " opposées
: renuncia (démission) et golpe de Estado (coup d'Etat). La première, qui
suppose que la chute d'Hugo Chávez est une démission, permet de légitimer
l'instauration d'un gouvernement de transition. La seconde est marquée
négativement dans la mémoire collective (surtout en Amérique latine), et
implique d'emblée une condamnation des faits. On peut ainsi parler de
l'existence d'un " enjeu désignatif " (Véniard 2007) : d'abord à un niveau
discursif, car en choisissant une désignation, on prend position par rapport à
d'autres désignations possibles et par rapport aux autres locuteurs qui nomment
l'événement (Siblot 2001) ; ensuite, dans le cas étudié, à un niveau factuel,
puisque la nomination de l'événement peut avoir des conséquences dans les
domaines juridiques et diplomatiques. Au-delà de l'opposition forte entre ces
deux désignations, on constate que dans les déclarations rapportées par les
journaux, les locuteurs d'opposition ne nomment pas, ou très peu, l'événement.
Quant aux désignations qui sont clairement assumées par les journaux, le plus
souvent, elles n'impliquent pas de catégorisation de l'événement ou elles ne
supposent pas de prise de position explicite sur ce dernier. Ainsi, il semble
également exister un intérêt à ne pas nommer, ou à nommer de manière " neutre ".
Mots clés : enjeu désignatif, nomination,
presse écrite, tentative de coup d'État, Venezuela,
Krieg Alice (2000) : Émergence et emplois de la formule "
purification ethnique " dans la presse française (1980-1994) : Une analyse de
discours, thèse pour le doctorat en sciences du langage, Université Paris Nord
-Paris 13. Neveu E. et Quéré L. (1996), " Présentation ", RÉseaux, 75, " Le
temps de l'évènement, I ", 7-21. Quéré, L. (1994) : " L'événement "sous une
description" : contraintes sémantiques, croyances stéréotypiques et "natural
facts of life as a morality" ", Protée n° 22/2, p. 14-28. Siblot P. (2001) "
De la dénomination à la nomination. Les dynamiques de la signifiance nominale et
le propre du nom ", Cahiers de praxématique, 36, pp. 189-214.
Veniard M. (2007) La nomination d'un événement dans la presse quotidienne
nationale. Une étude sémantique et discursive : la guerre en Afghanistan et le
conflit des intermittents dans le Monde et le Figaro. Thèse pour le doctorat en
sciences du langage, université Sorbonne nouvelle - Paris
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