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Frédérique SITRI
Université Paris Ouest
Nanterre Syled-Cediscor, Université Sorbonne nouvelle fsitri@u-paris10.fr
Une lecture " événementielle " de pouvoir
?
On se demandera dans cette communication en quoi le modal
pouvoir joue un rôle dans la représentation de ce qui " fait événement " dans
des rapports éducatifs produits à la suite d'un signalement d'enfant en danger.
Comme l'a montré A. Collinot (2005), l'écriture d'un rapport de signalement, en
tant qu'" acte performatif ", configure un événement singulier ("
événement-occurrence " au sens de Ricoeur), en " événement-récit " : l'insérant
dans une histoire et dans une suite d'autres événements, le rapportant à des
normes sociales, la mise en discours lui donne un " sens " dans une histoire
singulière et dans une logique argumentative. De la même façon dans les rapports
qui visent à évaluer une situation de danger dans le cadre d'une mesure
d'investigation ou d'une mesure éducative ordonnées par le juge après un
signalement, les paroles, actes ou faits rapportés sont interprétables dans la
visée argumentative qui oriente l'écriture du rapport vers une conclusion
spécifique : cet enfant est en danger ou non, la famille coopère ou non à la
mesure, la mesure éducative (aide éducative, placement) doit être maintenue ou
non... Dans cette perspective, on voudrait ici analyser des énoncés du type
: il a pu exprimer son désir/ depuis peu de temps, X peut évoquer des vécus
difficiles, énoncés sur lesquels notre attention a été attirée par l'approche
lexicométrique des segments de discours répétés. Dans ces énoncés, pouvoir
exprime la " capacité " ou la " disposition " des sujets, mais une " disposition
" dont les analyses linguistiques du modal soulignent le caractère " inattendu
", " surprenant ", " exceptionnel ", qui est évaluée comme une " performance "
(Carlier, 2000, p. 81). Au présent, pouvoir présente de plus l'intéressante
particularité de produire un glissement, un miroitement entre cette valeur de "
capacité " et la valeur de " sporadicité éventuelle " décrite par Kleiber (1983)
: il peut verbaliser ses affects = il lui arrive de verbaliser ses affects/il
est capable de verbaliser ses affects. Considérant les propriétés
énonciatives et pragmatiques du genre considéré, on émet alors l'hypothèse que
le modal pouvoir opère une sorte de focalisation qui confère au fait décrit dans
l'énoncé le statut d'évènement, en ce que le procès présenté comme " inédit " ou
" difficile à faire ou à dire " marque une rupture dans un comportement ou une
situation, tout en se présentant comme le fruit d'un " accompagnement " éducatif
qui se trouve ainsi valorisé ; il joue un rôle dans la ligne argumentative du
rapport et en annonce la conclusion. D'une part nous nous proposons de
cerner au plus près les éléments contextuels (temps du verbe, objet,
circonstants, ...) qui favorisent une lecture " événementielle " de pouvoir, et
de mettre en relation cette lecture avec les caractéristiques génériques du
corpus, ce qui demandera éventuellement des comparaisons avec d'autres genres
(par rapport des rapports produits dans un autre cadre institutionnel). D'autre
part nous serons amenées, pour proposer une analyse " évènementielle " de ces
énoncés, à reprendre et à mettre à l'épreuve les différentes définitions de
l'évènement, dans les sciences humaines et plus particulièrement en analyse de
discours (Quéré, Krieg, Guilhaumou) et à évaluer la relation possible entre ces
approches et la conception " linguistique " de l'événement essentiellement basée
sur la notion d'aspect verbal.
Mots clés : événement, genre, pouvoir, rapport
éducatif, signalement d'enfant en danger
Collinot A., 2005, " Le 'signalement d'enfant en danger'. Une
problématique de l'évènement ", Linx 52, p. 63-72. Guilhaumou, J. (2006) :
Discours et événement. L'histoire langagière des concepts. Presses
universitaires de Franche-Comté. Kleiber G., 1983, " L'emploi 'sporadique' du
verbe pouvoir en français ", n David, Kleiber, eds, La notion sémantico-logique
de modalité, p. 181-203, Paris, Klincksieck. Quéré, L. (2006) : " Entre fait
et sens : la dualité de l'événement ", Réseaux, n°139, 2006, p.
183-218. Langue française, 84, 1989, Modalité et interprétation : l'exemple
de " Pouvoir ".
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