Frédéric TORTERAT
Université de Nice, France
frederic.torterat@unice.fr
 
Ces " mots de trop " qui font le buzz : l'événementialisation des écarts discursifs dans les colonnes des quotidiens
 
Mécanisme d'amplification ou simple accumulation d'insinuations, le buzz intervient dans de multiples circonstances et sur des supports variés. Ce mouvement apparaît notamment dans les journaux, par exemple quand ils se saisissent de propos individués, comme les " débordements " d'une personnalité politique (Le Parisien du 28 janvier 2010), voire telle " éructation d'obscur élu local " (les Echos du 21 décembre 2009), à la faveur d'instantanés d'opinion publique. Le buzz témoigne alors du parcours de certaines productions discursives qui se diffusent au gré de citations plus ou moins replacées dans leur contexte (Torterat 2010), comme c'est le cas de (possibles) erreurs de communication qui passent, tout à coup, dans la catégorie des " faits marquants ".
Les écarts discursifs, qu'on les appelle bévues ou dérapages verbaux, peuvent prendre une dimension d'" événement " en ceci qu'ils sont plus ou moins révélateurs d'un point de vue, et d'une certaine manière d'aborder, le temps d'un propos incongru, l'altérité du tiers, et donc en partie ce qui fonde la diversité des groupes sociaux et des communautés d'opinion. Ce que la blogosphère et le monde des forums apportent à ces écarts discursifs, consiste pour ainsi dire dans de nouvelles " règles du jeu ", auxquelles les personnalités politiques, mais aussi les journalistes, ne sont pas encore complètement habitués. L'information étant devenue interactive, elle redimensionne les mots qu'emploient les uns et les autres, attribuant à tout écart, même le plus " fugace " (Lopez-Muņoz 2006), une dimension événementielle que les tentatives de rattrapage ne font le plus souvent qu'exacerber.
Pour saisir les implications de la démarche journalistique qui consiste à relater les dérapages qui produisent le buzz, il semble opportun non seulement d'envisager les manières dont les rédacteurs concrétisent et pour ainsi dire matérialisent les faits (à travers les propos commentés en particulier), mais aussi recourent à des procédés comme l'allusion (Moirand 2006) ou la remémoration (Torterat 2011), en élevant quelquefois ce type d'interventions verbales en véritables faits sociaux.
Nous verrons, à travers un échantillon d'articles de presse quotidienne parus entre 2008 et 2010, ce à quoi correspond, dans le secteur du journalisme contemporain, cette " stratégie du bref " (Drouet 2003) et les critiques qu'elle suscite. Nous nous attacherons également à définir dans quelle mesure ce type d'événementialisation conduit à immiscer dans l'inconscient collectif (et retour !) des " phrases " et des " petits mots " qui persistent malgré leurs auteurs, et qu'un buzz obstiné rend à la fois plurivoques et particulièrement persistants.
 
Mots clés : buzz, écarts discursifs, événementialisation, propos rapportés, quotidiens
 
Drouet M. (2003) : " Stratégies du bref ", Cahiers de Médiologie 16 : 119-127.
Lopez-Muņoz J.M. (2006) : " L'Auto-citation comme stratégie de persuasion à la limite de l'irresponsabilité. Etude de l'effet d'impartialité obtenu au moyen de l'effacement énonciatif dans les forums de presse ", Semen 22 : 161-176.
Moirand S. (2006) : Les Discours de la presse quotidienne, Paris, PUF.
Torterat F. (2010) : " Quand la publicité politique se confronte au buzz journalistique : le cas des dérapages verbaux traités dans une rubrique de quotidien ", Signes, Discours et Société 5 : http://www.revue-signes.info/document.php?id=1807
Torterat F. (2011) : " Entre linguistique, psychologie politique et sociologie des médias : les écarts discursifs comme lieux de l'insconscient collectif ", Cahiers de Psychologie Politique : 18 http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1842