Marie VENIARD
Université Paris Descartes, EDA et Syled-Cediscor
marie.veniard@parisdescartes.fr
 
Le nom crise et la construction du sens social de l'événement
 
Le surgissement d'un événement dans le discours médiatique s'accompagne très fréquemment de l'apparition du mot crise, cela dans des domaines référentiels très variés : canicule et crise sanitaire, effondrement des marchés boursiers et crise économique, guerre et crise internationale… Pour le journaliste E. Hazan (2006 : 33), ce mot relève du lexique propagandiste de la LQR (Lingua Quintae Respublicae, en hommage à V. Klemperer et à sa description de la LTI, Lingua Tertii Imperii). Selon Hazan, crise attache à l'événement et au problème en question l'idée d'une temporalité brève, ce qui contribuerait à calmer les impatiences de l'opinion publique.
Il est vrai que l'aspectualité est un trait central de la définition du mot crise, comme le montrent les collocations récurrentes (la crise dure, la fin de la crise). Cependant, une analyse plus approfondie permet de mettre au jour d'autres caractéristiques sémantiques du mot. Elles seront rapportées à deux événements particuliers (la guerre en Afghanistan en 2001 et le conflit des intermittents du spectacle, 2003-2004) et au sens social que leur attribuent deux quotidiens français (Le Monde et Le Figaro). Par sens social (Moirand 2004), on entend le tissage entre discours et faits, socle de l'interprétation de l'événement dans un contexte donné. Alors que ces deux événements sont de nature différente, leur nomination dans les médias s'effectue partiellement à travers un même mot, crise.
L'analyse sémantique permettra de déterminer la présence dans le micro-discours du mot d'un sème pragmatique, noté [+ qu'on doit régler] (Veniard 2007). Cette caractéristique sémantique, pragmatique plutôt qu'aspectuelle, va jeter une nouvelle lumière sur le traitement qui est fait de la crise afghane et de la crise des intermittents. En effet, à travers ce mot, se construit au fil du discours une praxis déterminant un rapport aux événements adopté par la communauté : le régler. Il est frappant de constater le lien entre ces considérations sémantiques et la place du mot au sein d'un intertexte politique convoqué par le journal : le mot figure en majorité dans des déclarations d'hommes politiques. La mise au jour de cette praxis et son fonctionnement discursif ouvre sur un retour sur la définition de l'événement en mettant en avant le " caractère humain que leur confère leur rapport à des agents " (Ricœur 1991 : 45).
 
Mots clés : collocation, événement, interdiscours, médias, mot abstrait
 
Hazan, Eric (2006). LQR. La propagande au quotidien, Paris, Raisons d'agir, 122 p.
Moirand, Sophie (2004). " L'impossible clôture des corpus médiatiques. La mise au jour des observables entre catégorisation et contextualisation ", Tranel, 40, p. 71-92.
Ricoeur, Paul (1991). " Événement et sens ", Raisons pratiques, 2, p. 41-56.
Veniard, Marie (2007). La nomination d'un événement dans la presse quotidienne nationale. Une étude sémantique et discursive : la guerre en Afghanistan et le conflit des intermittents dans 'Le Monde' et 'Le Figaro', thèse pour le doctorat de sciences du langage, Paris, Paris 3-Sorbonne Nouvelle, 2 volumes, 567 p.