|
Le nom crise et la construction du sens social de
l'événement
Le surgissement d'un événement dans le discours médiatique
s'accompagne très fréquemment de l'apparition du mot crise, cela dans des
domaines référentiels très variés : canicule et crise sanitaire, effondrement
des marchés boursiers et crise économique, guerre et crise internationale… Pour
le journaliste E. Hazan (2006 : 33), ce mot relève du lexique propagandiste de
la LQR (Lingua Quintae Respublicae, en hommage à V. Klemperer et à sa
description de la LTI, Lingua Tertii Imperii). Selon Hazan, crise attache à
l'événement et au problème en question l'idée d'une temporalité brève, ce qui
contribuerait à calmer les impatiences de l'opinion publique. Il est vrai
que l'aspectualité est un trait central de la définition du mot crise, comme le
montrent les collocations récurrentes (la crise dure, la fin de la crise).
Cependant, une analyse plus approfondie permet de mettre au jour d'autres
caractéristiques sémantiques du mot. Elles seront rapportées à deux événements
particuliers (la guerre en Afghanistan en 2001 et le conflit des intermittents
du spectacle, 2003-2004) et au sens social que leur attribuent deux quotidiens
français (Le Monde et Le Figaro). Par sens social (Moirand 2004), on entend le
tissage entre discours et faits, socle de l'interprétation de l'événement dans
un contexte donné. Alors que ces deux événements sont de nature différente, leur
nomination dans les médias s'effectue partiellement à travers un même mot,
crise. L'analyse sémantique permettra de déterminer la présence dans le
micro-discours du mot d'un sème pragmatique, noté [+ qu'on doit régler] (Veniard
2007). Cette caractéristique sémantique, pragmatique plutôt qu'aspectuelle, va
jeter une nouvelle lumière sur le traitement qui est fait de la crise afghane et
de la crise des intermittents. En effet, à travers ce mot, se construit au fil
du discours une praxis déterminant un rapport aux événements adopté par la
communauté : le régler. Il est frappant de constater le lien entre ces
considérations sémantiques et la place du mot au sein d'un intertexte politique
convoqué par le journal : le mot figure en majorité dans des déclarations
d'hommes politiques. La mise au jour de cette praxis et son fonctionnement
discursif ouvre sur un retour sur la définition de l'événement en mettant en
avant le " caractère humain que leur confère leur rapport à des agents " (Ricœur
1991 : 45).
Mots clés : collocation, événement,
interdiscours, médias, mot abstrait
Hazan, Eric (2006). LQR. La propagande au quotidien, Paris,
Raisons d'agir, 122 p. Moirand, Sophie (2004). " L'impossible clôture des
corpus médiatiques. La mise au jour des observables entre catégorisation et
contextualisation ", Tranel, 40, p. 71-92. Ricoeur, Paul (1991). " Événement
et sens ", Raisons pratiques, 2, p. 41-56. Veniard, Marie (2007). La
nomination d'un événement dans la presse quotidienne nationale. Une étude
sémantique et discursive : la guerre en Afghanistan et le conflit des
intermittents dans 'Le Monde' et 'Le Figaro', thèse pour le doctorat de sciences
du langage, Paris, Paris 3-Sorbonne Nouvelle, 2 volumes, 567
p.
| |